Satire sociale succulente et regard critique sur la société tunisienne avec ses contrastes et ses contradictions à travers le prisme du mariage mixte, le premier long-métrage de fiction de Mourad Ben Cheikh est une véritable surprise. S’apparentant à la comédie italienne des années 60/70, «Asfour Jenna» expose à travers son personnage principal Amadeus les travers de la société tunisienne avec beaucoup d’humour.
«Asfour Jenna» (Oiseau du paradis) est une adaptation de «La marmite d’Ayoub» (édition Dar El Janoub-2018) de l’écrivain Mohamed Ridha Ben Hamouda. Le film traite de la question du mariage entre un non-musulman italien et une musulmane tunisienne, avec une approche mêlant la comédie satirique des us et coutumes tout en prônant la tolérance religieuse et l’acceptation de la différence.
Le film raconte l’histoire de Badra ou Betty, jeune femme tunisienne de 28 ans et d’Amadeus, antiquaire italien de 45 ans, qui décident de se marier mais sont confrontés à des pressions familiales et des obstacles culturels et religieux qui obligent l’homme en particulier à abandonner sa religion et à se convertir à l’islam pour pouvoir se marier en passant, outre, la profession de foi (Chahada), par la circoncision. Chose qu’Amadeus a du mal à accepter. Mais la bande des pieds nickelés au chômage, qui ne sont autres que les frères de Badra ainsi que leur copain instituteur, ne cessent de le harceler pour qu’il leur trouve un boulot en Italie s’il veut épouser leur sœur. Mais en attendant, ils essaient de le déplumer en lui faisant faire le tour des bars pour le convaincre de leur projet. Le thème nodal du film est la religion ou plutôt l’interprétation qu’on en fait et des croyances populaires. Un sujet délicat que le réalisateur traite sur le fil du rasoir pour ne pas heurter les sensibilités du spectateur des deux rives, représentées ici par la famille musulmane de Betty et de la mère chrétienne d’Amadeus. Le procédé stylistique, à savoir la caricature et l’hyperbole, est utilisé avec modération pour ne pas tomber dans le ridicule ou l’exagération. Au fait, ce n’est pas la religion qui est moquée mais l’autorité incarnée par des figures religieuses, à l’instar du cheikh, sensible au charme des femmes et prêt à renoncer à certaines de ses convictions pour de l’argent. La mère d’Amadeus, figure de la mama italienne, une mère poule autoritaire et accaparante qui refuse que son fils épouse une musulmane.
En fin de compte, «Asfour Jenna» invite à accepter l’autre tout en respectant ses convictions. Les protagonistes cherchent un terrain d’entente pour préserver l’institution du mariage mixte, source de richesses et de diversité culturelle. S’il manque un peu de vraisemblances avec la réalité (scène où Amadeus seul chez le mufti pour annoncer sa conversion, alors que la règle dit qu’il faut qu’il soit accompagné de deux témoins) et un peu d’huile dans l’engrenage, il n’en demeure pas moins que la distribution est convaincante et l’interprétation juste : Nicolla Nocella (Amadeus) excellent dans son rôle, Amal Mannai (Betty), Yahia Faidi, Riadh Hamdi, Slim Dhib, Adib Hamdi, Mounira Zakraoui, Mourad Gharsalli, Jamel Madani, Ichrak Matar, Chekra Rammah, Fatma Felhi, Abdelhamid Bouchnak, Younes Ferhi et Mourad Ben Cheikh. «Asfour Jenna» est une excellente satire sur le mariage mixte à la fois drôle et tendre.